5 dénominateurs communs à l’intervention auprès des personnes judiciarisées, qui consomment des drogues ou qui sont à risque d’ITSS

27 novembre 2017

Les défis dans le travail auprès des personnes judiciarisées qui font usage de drogues ou qui sont aux prises ou à risque d’ITSS sont nombreux. Inutile de dire que les défis se multiplient lorsqu’une personne doit composer simultanément avec ces diverses réalités. L’une des solutions réside dans le travail intersectoriel. Or une journée qui rassemble les intervenants et les gestionnaires de ces différents secteurs, comme le Forum provincial du 27 octobre dernier, nous permet de constater qu’au-delà des enjeux, il y a aussi divers points de convergence qui favorisent le fait de « travailler ensemble ».

Premièrement, on constate que même si les modèles utilisés pour favoriser la réadaptation et limiter les risques de récidive diffèrent selon les secteurs d’activité, les éléments qui les composent sont similaires. À titre d’exemple, dans le champ de la délinquance, le modèle RBR s’appuie sur les principes du risque, des besoins et de la réceptivité[1] (RBR). Ce modèle propose d’ajuster les services en fonction du risque de récidive, d’identifier les facteurs criminogènes et d’adapter l’intervention aux besoins de la personne, ses forces et sa motivation. Dans le domaine des dépendances, le modèle SBIRT (Screening Brief Intervention Reference Treatment)[2] suggère d’identifier le niveau de risque associé à l’usage de drogues, d’intervenir brièvement afin de réduire les méfaits et de référer vers le traitement qui semble le mieux convenir à la personne et à son profil de consommation.

Deuxièmement, l’enjeu de la motivation est au cœur de toutes les interventions et est reconnu comme un élément avec lequel il faut composer. En effet, tant chez les personnes judiciarisées que dans le domaine des dépendances et des ITSS, on remarque que le désir de changer ne dépend pas que de la personne. Il est maintenant reconnu que la motivation est quelque chose de malléable et non statique et qu’elle est souvent influencée par des composantes externes comme : l’entourage, le système judiciaire et les intervenants. Devant ce constat, un désir de changer intrinsèque n’est plus un préalable à l’accès à des services. Il n’y a plus de « bonne » ou de « mauvaise » raison de changer un comportement.

Troisièmement, le traitement doit être adapté aux besoins de la personne. Trop souvent un seul programme d’intervention est offert qui s’accompagne de très peu d’options. Les structures organisationnelles sont faites de telle sorte que cela exige à la personne de s’adapter au traitement et non le contraire. Toutes les personnes judiciarisées, qui consomment des drogues ou qui sont à risque de contracter une ITSS ne requièrent pas le même traitement ni la même intensité de service.

Quatrièmement, la notion de « timing » semble avoir un effet important sur le désir de changement et la consolidation de celui-ci. Or, on assiste régulièrement à une démarche séquentielle plutôt qu’à une démarche intégrée. Les stratégies de réduction des méfaits et les services en dépendance sont peu accessibles à l’intérieur des murs et sont relayés à la sortie de prison ou du pénitencier, moment où les éléments extérieurs sont susceptibles de réviser à la baisse l’importance de faire des changements et d’affecter la capacité à changer puisque les barrières risquent d’augmenter. Dans le domaine des dépendances, il est aussi reconnu que les services arrivent trop tardivement et que l’on devrait intervenir plus précocement afin de prévenir l’aggravation des problèmes biopsychosociaux.

Cinquièmement, les notions de récidive, de « porte-tournante », de rechute sont des éléments avec lesquels il faut composer. Plutôt que de les voir comme un échec, il faut plutôt les considérer comme faisant partie du processus de changement qu’il ne faut pas condamner. Nous avons avantage à aborder cet aspect avec les personnes avec lesquelles on travaille pour tirer des leçons qui peuvent parfois permettre de mieux avancer.

En conclusion, les modèles d’intervention utilisés en milieu carcéral, dans le champ de la dépendance et en prévention des ITSS  sont cohérents entre eux et peuvent être complémentaires. Chose certaine, il est important de bien évaluer et d’offrir plus précocement les services. De ce fait, lorsqu’une personne se retrouve à composer avec ces différentes problématiques, un partage d’information obtenue par l’entremise d’un consentement éclairé de la personne pourrait éviter beaucoup de répétition d’évaluation et parfois favoriser la poursuite de solutions qui se sont avérées efficaces. En complément, puisque la motivation dépend de la personne elle-même et de l’intervenant, il faut s’assurer que ceux qui travaillent auprès des personnes judiciarisées, qui consomment des drogues ou qui sont à risque d’ITSS soient formés de manière à bien assurer leur rôle de susciter l’espoir d’un changement possible et de soutien à leur capacité à changer. Finalement, l’incarcération, le passage en maison de transition et le passage dans un centre de traitement résidentiel sont de bons moments pour amorcer une démarche en dépendance, un traitement de substitution, un dépistage ou amorcer un traitement pour les ITSS ou autre. Lorsqu’il y a rechute, récidive ou autre, il faut aussi se demander quels sont les facteurs qui prédisposent ce « retour en arrière » qui ne sont pas seulement individuels, mais aussi sociaux, structurels et organisationnels.

[1] https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/rsk-nd-rspnsvty/index-fr.aspx

[2] Traduction libre tiré du site de SAMHSA, https://www.integration.samhsa.gov/clinical-practice/sbirt,


Un peu plus sur l’auteure

Bachelière en psychologie et détentrice d’une maîtrise en travail social, Anik Tremblay a été intervenante auprès de consommateurs de drogues durant près de 20 ans.  Elle a par la suite contribué à la mise en place des services de première ligne en dépendance au Québec, menant entre autres à l’implantation des services d’accès au matériel d’injection par les infirmières et les travailleurs sociaux. À l’AIDQ, Anik agit comme conseillère-cadre aux affaires cliniques. Elle assume la responsabilité des dossiers et des comités de liés à la réduction des méfaits, à la prévention et l’intervention précoce, de même qu’au cannabis.

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