La légalisation du cannabis, une avancée en Santé publique

28 août 2017

Le gouvernement du Canada a rendu public il y a déjà quelques mois son Cadre pour la  légalisation et la règlementation du cannabis, projet de loi présentant entre autres caractéristiques novatrices celle de s’appuyer essentiellement sur une approche de santé publique, s’inscrivant ainsi en rupture avec la position traditionnelle de prohibition et de contrôle social dont cette substance a fait l’objet depuis de très nombreuses années.

D’un point de vue de Santé publique, il s’agit d’une bonne nouvelle à plusieurs égards, bien que cette mesure attendue et souhaitée depuis longtemps soulève également plusieurs enjeux sociaux importants et pose aux autorités des défis majeurs.

Une approche qui a ses avantages

La légalisation du cannabis signifie le déclin et la fin éventuelle des coûteuses et inefficaces approches axées sur la peur et la « diabolisation sociale » de ce produit et par conséquent engendrera, à long terme, une moins grande stigmatisation des usagers. Cette réduction du poids de l’approche morale fera reculer d’autant l’exclusion sociale dont sont frappés les consommateurs et créera ainsi un contexte favorable à l’instauration d’une approche globale de Santé publique aux niveaux tant du traitement des personnes toxicomanes que de l’intervention préventive et de la recherche.

Au plan curatif, le fait de considérer la consommation du cannabis et les phénomènes qui y sont reliés comme étant principalement une préoccupation de santé et non un comportement criminel engendrera moins de stress et de tension pour les personnes concernées, qui se trouveront certainement plus à l’aise pour demander de l’aide et plus honnêtes dans leurs échanges avec le personnel thérapeutique, rendant ainsi l’intervention plus efficace.

Pour la prévention, la légalisation rendra possible la tenue d’un discours public réaliste concernant la consommation sécuritaire et appropriée tout en permettant de mettre l’emphase sur les risques réels reliés à ce comportement, le tout reposant comme il se doit sur des données scientifiques probantes. Le niveau d’efficacité des mesures ainsi mises de l’avant s’en trouvera sans doute amélioré. Le fait que la criminalisation du produit laisse place à un discours cohérent et documenté amènera aussi éventuellement les croyances des jeunes au regard du produit à évoluer, la connaissance remplaçant les mythes, tant incitatifs que dissuasifs, ce qui s’avèrera sans doute un facteur de protection important.

Enfin, il s’agira d’une occasion pour la recherche de créer un corpus de connaissances spécifiques concernant tant le produit que ses effets et les impacts de la légalisation, notamment en termes d’intégration sociale du produit, qui nous fait encore largement défaut à ce jour. Les données auto-rapportées s’avérant probablement à terme moins frappées d’autocensure, les résultats des études et enquêtes menées dans ces conditions seront probablement plus fiables.

De plus, la légalisation entraînera sûrement d’importantes économies au niveau du processus de judiciarisation, sommes qui pourraient fort bien, en partie du moins, être redirigées vers le financement de l’ensemble des actions et mesures de Santé publique novatrices qu’appelle le nouveau contexte légal.

Une approche qui soulève des enjeux majeurs

Sur le plan des enjeux et questionnements soulevés par la nouvelle approche, les autorités de Santé publique, tout comme l’ensemble de notre société, devront faire face à plusieurs questionnements d’importance capitale en matière de protection du public.

Les lieux et moyens de production, les mécanismes de contrôle de la qualité, le taux de substance psychotrope (THC), le mode de distribution, l’âge légal pour la possession et la consommation, la quantité permise pour la possession personnelle, les lieux de consommation ne sont que quelques-uns de ces enjeux.

Il faut également prendre en considération toutes les questions soulevées par la consommation inappropriée, notamment aux plans de la conduite avec facultés affaiblies (doit-on établir une limite légale? laquelle?), de la consommation au travail (peut-on l’interdire? comment la contrôler?), de l’accès au produit pour les jeunes (comment éliminer la présence du crime organisé?). Doit-on permettre la mise en marché de produits dérivés? À quelles conditions?

Une grande responsabilité sociale

En rendant légales la possession et la consommation de cannabis, le gouvernement a également la responsabilité d’assurer l’établissement de contextes sécuritaires de consommation ainsi que de services adéquats pour les personnes ayant besoin d’aide.

À ce titre, il est d’importance capitale que le financement des ressources soit assuré de façon suffisante et récurrente, notamment en consacrant un pourcentage préétabli des revenus issus de la taxation du commerce de la substance ainsi que des économies réalisées  suite à l’arrêt des dépenses consacrées à la prohibition à ces fins.

Références :

Beauchesne, L. (2006). Les drogues : légalisation et promotion de la santé. Bayard éditeur, Montréal (Québec), 268 p.

Mallea, P. (2014). The War on Drugs : A Failed Experiment. Dundurn Editor, Toronto (Canada). 256 p.

Morin, M. (2017). Ô Cannabis. Perro éditeur, Shawinigan (Québec), 376 p.

Paquin, P. et Dufort, J. (2016). Légalisation du cannabis, cessons de tourner autour du pot! Document interne. http://www.santemonteregie.qc.ca/champlaincharleslemoyne/sante-publique/index.fr.html#.WZW02tLyivE

Québec (2017). Mémoire des Directeurs de Santé publique du Québec sur la légalisation du cannabis. Version finale. http://santesaglac.com/medias/Memoire_DSP_can

 

 

Pierre Paquin détient une maîtrise en intervention sociale et un baccalauréat en psychologie de l’UQAM.

ll est présentement chargé de cours à l’Université de Sherbrooke

Autres activités :

  • Auteur, formateur, conférencier, personne ressource et chargé de projets
  • Chargé de cours au certificat en toxicomanie de l’Université de Montréal
  • Responsable de la prévention des dépendances à la Direction de santé Publique de la Montérégie (2000-2016)
  • Président du Conseil d’administration de Spectre de rue (1999-2006)
  • Superviseur clinique au Césame (1994-1996)
  • Intervenant au Centre Dollard-Cormier (1978 – 2000)

1 Commentaire

  1. Commentaire par Yvan ouellet le 19 novembre 2018 à 21 h 08 min

    Brillante analyse. Merci. Je vais tenter de diffuser ce texte. Cela nous change des redrsseurs habituels de torts de notre societe.

Les commentaires sont fermés.