Déjudiciariser les personnes accusées de possession simple de drogues, un moyen pour soulager le système judiciaire

Déjudiciariser les personnes accusées de possession simple de drogues, un moyen pour soulager le système judiciaire

Montréal, 25 novembre, 2021 - Ce moyen, il existe. En effet, le 17 novembre 2022, le projet de loi fédéral (C-5) visant à amender le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, recevait la sanction royale nécessaire pour qu'il devienne loi (Loi 15) et soit dès lors applicable à l'ensemble des provinces canadiennes. Par cette loi, le gouvernement du Canada a manifesté son souhait de lutter contre les inégalités systémiques, notamment la surreprésentation des personnes noires et des Premières Nations, Inuits et Métis et autres personnes marginalisées dans le système de justice pénale canadien.

L'adoption de cette loi n'a rien de banal et elle marque assurément un moment clé dans l'évolution de nos politiques sociales. De fait, non seulement vient-on abolir les sanctions minimales en ce qui a trait aux infractions concernant les drogues, mais la loi nous rappelle désormais que les mesures de déjudiciarisation dont elle traite sont fondées sur des données probantes. Elle nous rappelle par-dessus tout que «la consommation problématique de substances doit être abordée principalement comme un enjeu social et de santé».

Voilà une posture qui devrait suffire à nous éloigner de l'approche répressive dont trop de personnes font inutilement les frais depuis des décennies.

Alors que nous assistons actuellement à un débat sur la surcharge du système judiciaire au Québec, ceci représente à notre avis, des pistes de solutions tangibles que le gouvernement du Québec ne peut ignorer.

La loi 15 mise donc sur la promotion d'une approche qui ne sera plus uniquement judiciaire en ce qui a trait à la possession simple de drogues. Cette loi entraîne donc des modifications au Code criminel et à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS) afin que les réponses aux infractions criminelles concernées s'inscrivent dans une réelle logique de réduction des méfaits. Cela, sans mettre de côté les objectifs de sécurité publique.

Bien que comme de nombreux autres organismes québécois et canadien1-2,nous aurions souhaité une véritable décriminalisation, la déjudiciarisation de la possession simple de drogues que met de l'avant cette nouvelle loi, constitue un moyen tout aussi attendu qu'essentiel, afin d'éliminer la stigmatisation des personnes qui en font usage, à protéger leur santé, leur dignité et l'ensemble de leurs droits. Dans son objectif de réduction des méfaits, elle tient aussi compte des familles et de la communauté.

L'idée d'une déjudiciarisation de la possession simple de drogue faisait déjà son chemin depuis un certain temps au pays. À titre d'exemple, rappelons ici qu'en août 2020, le Service des poursuites pénales du Canada publiait son nouveau Guide du Service des poursuites pénales du Canada à l'intention des procureurs concernant les poursuites contre les infractions de possession simple au terme de la LRCDAS. On y demandait déjà aux procureurs et procureures de s'attarder davantage aux infractions plus lourdes en matière de possession. Ces orientations s'adressaient aux procureures et procureurs fédéraux. Or le Québec et le Nouveau­ Brunswick n'ont pas de procureures ou de procureurs fédéraux. Il revenait ainsi aux ministères de la Justice de ces provinces de donner des orientations claires à leurs procureurs et procureures basées sur les directives contenues dans ce guide, ce que le ministère de la Justice du Québec a refusé de reconnaître et d'appliquer. Une telle approche pouvait déjà servir à la problématique de l'engorgement du système judiciaire québécois.

L'adoption de la loi 15 par le gouvernement fédéral vient de changer la donne. Il ne s'agit plus de savoir si une directive fédérale doit être suivie ou non par une province telle que le Québec, car, dans les circonstances, nous parlons d'une loi dont l'application doit être uniforme à l'échelle du pays. Pas de choix ni de caprice.

Rappelons, comme rapporté par La Presse+ sous la signature du journaliste Philippe Mercure, que plus de 11200 causes criminelles incluant des accusations de possession simple de drogue ont été ouvertes au Québec entre janvier 2020 et septembre 2022 seulement. La tendance est toutefois à la baisse, avec 4530 causes en 2020, 3912 en 2021 et 2843 après 9 mois cette année. Parmi elles, 7320 se sont soldées par une déclaration de culpabilité et449 par un acquittement.

Dans un rapport publié en 2021, l'Institut national de santé publique du Québec considère d'autres mesures alternatives à la criminalisation appliquées à l'international. Celles-ci «sont efficaces en termes de sécurité publique» et «permettent de mitiger certains méfaits tels que la récidive criminelle et les nouveaux contacts avec le système de justice. Elles« pourraient constituer un ajout à considérer en contexte québécois».

L'Association des intervenants en dépendance du Québec (AIDQ) invite le ministère de la Justice du Québec et le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec à considérer la déjudiciarisation comme une solution pour désengorger le système de justice au Québec tout en favorisant une approche bénéfique pour les personnes qui consomment des drogues. Nous les invitons à préciser comment ils entendent appliquer la Loi 15.

L'AIDQ invite aussi le ministère de la Sécurité publique du Québec et les services de police à préciser comment les corps de police appliqueront leur pouvoir discrétionnaire dans le contexte de cette nouvelle loi. La façon dont elle sera appliquée sera décisive si l'on veut qu'elle crée plus de bienfaits que de conséquences négatives.

Ces réponses à venir sont au cœur du déploiement des mesures préconisées par la loi 15. Elles doivent témoigner d'un engagement ferme à atteindre les objectifs qui y sont identifiés. Il est temps d'appliquer les moyens nécessaires à notre disposition pour mettre la santé et les droits de la personne de l'avant. Les services publics et la société ne peuvent qu'en sortir gagnants. Les faits et les données accessibles n'offrent aucun autre choix logique.

Sandhia Vadlamudy, directrice générale
Association des intervenants en dépendance du Québec (AIDQ)

 

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